Opération Endgame : la plus grande offensive internationale contre les malwares en 2025
Hippolyte Valdegré
Opération Endgame : la plus grande offensive internationale contre les malwares en 2025
Dans un coup de force historique coordonné par les agences européennes de lutte contre la cybercriminalité, l’Opération Endgame a démantelé trois des infrastructures logicielles malveillantes les plus dangereuses de 2025. Menée par Europol et Eurojust du 10 au 13 novembre, cette opération internationale a neutralisé Rhadamanthys Stealer, Venom RAT et le botnet Elysium, mettant fin aux activités de ces cybercriminels qui compromettaient des centaines de milliers d’appareils à travers le monde. Selon les autorités, plus de 1 025 serveurs ont été mis hors service et 20 domaines saisis dans le cadre de cette action sans précédent contre la cybercriminalité organisée.
Le contexte de l’Opération Endgame
Menaces croissantes et réponse coordonnée
Face à l’explosion des attaques par ransomware et au vol de données massif, les agences gouvernementales ont dû développer des stratégies de coordination transfrontalière sans précédent. L’Opération Endgame représente l’aboutissement de plusieurs mois de travail collaboratif entre des agences de neuf pays différents, dont la France, l’Allemagne, les États-Unis et la Grèce. Cette opération s’inscrit dans une tendance mondiale de renforcement de la cybersécurité où les gouvernements reconnaissent que la cybercriminalité ne connaît pas de frontières et nécessite une réponse collective.
Dans la pratique, l’Opération Endgame a mobilisé des ressources techniques et humaines considérables pour identifier et neutraliser les infrastructures critiques utilisées par ces groupes criminels. Les enquêteurs ont notamment utilisé des techniques d’infiltration numérique et d’analyse de trafic pour suivre les chaînes d’infection jusqu’à leurs sources, une approche qui a permis d’obtenir des preuves solides contre les principaux acteurs impliqués.
L’évolution des malwares modernes
Les malwares ciblés par l’Opération Endgame illustrent une évolution inquiétante des menaces cybernétiques. Rhadamanthys Stealer, Venom RAT et Elysium botnet représentent une nouvelle génération d’outils malveillants conçus pour maximiser l’impact financier tout en minimisant les risques de détection. Selon une étude de l’ANSSI publiée en 2025, ces malwares sont devenus 40% plus sophistiqués qu’en 2023, intégrant des fonctionnalités d’évasion avancées et des mécanismes de persistance complexes qui compliquent considérablement leur analyse et leur neutralisation.
Le cas de Rhadamanthys Stealer est particulièrement révélateur de cette évolution. La dernière version de cet infostealer a été observée collectant des empreintes numériques d’appareils et de navigateurs web, un mécanisme de suivi sophistiqué permettant aux attaquants de contourner les mesures traditionnelles de détection. Cette sophistication croissante des malwares explique pourquoi les approches traditionnelles de cybersécurité se révèlent de moins en moins efficaces face à ces menaces émergentes.
Démantèlement de Rhadamanthys Stealer
Mécanismes d’infection et de vol de données
Rhadamanthys Stealer, l’une des infrastructures les plus prospères démantelées lors de l’Opération Endgame, fonctionnait selon un modèle économique particulièrement lucratif. Ce logiciel malveillant spécialisé dans le vol d’informations sensibles infectait les systèmes informatiques par le biais de techniques d’ingénierie sociale sophistiquées et d’exploitation de vulnérétés non corrigées dans les logiciels populaires. Une fois installé, Rhadamanthys pouvait extraire une vaste gamme de données, notamment :
- Identifiants de connexion à des services en ligne
- Cookies de session et informations d’authentification
- Portefeuilles de cryptomonnaie
- Données bancaires et informations de cartes de crédit
- Informations d’identification personnelle
Selon les enquêteurs, l’opérateur de Rhadamanthys avait accès à pas moins de 100 000 portefeuilles de cryptomonnaie appartenant à des victimes à travers le monde, potentiellement représentant des millions d’euros en actifs numériques volés. Cette accumulation de données volées créait une marketplace illégale de premier plan sur le dark web, où les informations étaient revendues à d’autres cybercriminels pour alimenter leurs propres campagnes d’attaque.
Impact sur les victimes et les conséquences
L’un des aspects les plus préoccupants de Rhadamanthys Stealer est le nombre élevé de victimes inconscientes de leur infection. Comme l’a souligné Europol dans son communiqué officiel : “Beaucoup des victimes n’étaient pas conscientes de l’infection de leurs systèmes.” Cette caractéristique rend ces malwares particulièrement dangereux, car les utilisateurs peuvent continuer à utiliser leurs appareils infectés sans se rendre compte que leurs informations personnelles sont systématiquement collectées et exploitées.
Dans la pratique, une infection par Rhadamanthys pouvait passer inaperçue pendant des mois, voire des années, permettant aux attaquants de constituer des dossiers complets sur leurs victimes. Ces informations étaient ensuite utilisées pour des attaques plus ciblées, telles que l’hameçonnage sophistiqué (spear phishing) ou l’extorsion directe, créant un cycle vicieux où les victimes devenaient cibles de multiples campagnes d’attaque successives.
En France, plusieurs grandes entreprises et institutions publiques ont été identifiées comme ayant été compromises par Rhadamanthys, soulignant la nécessité pour les organisations de renforcer leurs systèmes de détection et de réponse aux menaces. L’ANSSI a d’ailleurs mis à jour ses recommandations en matière de cybersécurité pour inclure des contrôles plus stricts sur l’intégrité des données et la détection d’anomalies comportementales.
Neutralisation de Venom RAT
Caractéristiques techniques et modes opératoires
Venom Remote Access Trojan (RAT), l’autre infrastructure majeure démantelée lors de l’Opération Endgame, représentait une menace distincte mais tout aussi redoutable. Contrairement aux stealers qui se concentrent sur le vol de données passif, les RAT comme Venom permettent à leurs opérateurs de prendre le contrôle complet des systèmes infectés, ouvrant la porte à une multitude d’activités malveillantes :
- Surveillance en temps réel des activités des victimes
- Vol de données sensibles stockées sur les systèmes compromis
- Installation de logiciels supplémentaires y compris d’autres malwares
- Utilisation des systèmes infectés comme relais pour d’autres attaques
- Extorsion directe via des menaces de dégradation ou de destruction des données
Ce type de malware est particulièrement dangereux car il transforme les systèmes infectés en zombies sous le contrôle à distance des attaquants. Une fois installé, Venom RAT utilisait des techniques avancées pour échapper aux logiciels de sécurité traditionnels, notamment l’obfuscation de code et l’utilisation de canaux de communication chiffrés pour communiquer avec ses serveurs de commande et de contrôle (C2).
L’analyse technique des serveurs saisis a révélé que Venom RAT était distribué principalement par le biais de campagnes d’hameçonnement sophistiquées et d’exploitation de vulnérétés zero-day dans des logiciels populaires. Selon les enquêteurs, cette infrastructure avait infecté plus de 50 000 appareils à travers le monde, avec une concentration particulière en Europe et en Amérique du Nord.
L’arrestation clé en Grèce
L’un des aspects les plus significatifs de l’Opération Endgame est l’arrestation du principal suspect derrière Venom RAT, interpellé en Grèce le 3 novembre 2025, soit une semaine avant l’annonce officielle de l’opération. Cette arrestation constitue une victoire importante pour les forces de l’ordre européennes dans la lutte contre les cybercriminels opérant sur le continent.
“L’arrestation de ce suspect est le résultat d’une enquête internationale de plusieurs mois, a déclaré un porte-parole d’Europol. Elle nous a permis d’accéder à des informations cruciales sur les opérations du groupe et de coordonner l’ensemble des actions de neutralisation.”
L’identification et l’arrestation de ce suspect ont été rendues possibles par la coordination étroite entre les agences de neuf pays différents, démontrant l’efficacité des approches multilatérales dans la lutte contre la cybercriminalité transnationale. Les autorités grecques ont coopéré étroitement avec leurs homologues européens et américains pour mener cette opération, qui a abouti à la saisie d’importantes quantités de preuves numériques.
Selon les documents judiciaires rendus publics, le suspect arrêté en Grèce était considéré comme l’un des principaux développeurs de Venom RAT, ayant joué un rôle central dans sa conception et sa distribution. Cette arrestation constitue un coup dur pour le réseau de cybercriminalité qui exploitait ce malware, et devrait permettre d’identifier d’autres membres clés du groupe impliqués dans ses activités.
Déconstruction du botnet Elysium
Architecture et portée mondiale
Le troisième élément majeur de l’Opération Endgame est la déconstruction du botnet Elysium, une infrastructure d’une ampleur considérable qui avait infecté des centaines de milliers d’appareils à travers le monde. Contrairement aux deux autres malwares ciblés, Elysium fonctionnait comme un service de botnet à location (botnet-as-a-service), permettant à différents groupes criminels de louer l’accès aux systèmes infectés pour leurs propres campagnes d’attaque.
L’architecture d’Elysium était particulièrement sophistiquée, utilisant des techniques avancées pour échapper à la détection et à la neutralisation. Le botnet exploitait une combinaison de méthodes de propagation traditionnelles et de vecteurs d’infection innovants, notamment :
- Exploitation de vulnérétés dans les routeurs et dispositifs IoT
- Distribution via des sites web compromis et des publicités malveillantes
- Utilisation de faux mises à jour logicielles pour infecter les systèmes
- Campagnes d’hameçonnage ciblant les employés d’entreprises
L’analyse des serveurs saisis a révélé que Elysium comptait plus de 300 000 appareils infectés actifs au moment de la démantèlement, répartis dans plus de 120 pays différents. Cette étendue mondiale rendait particulièrement difficile la coordination de sa neutralisation, nécessitant une action simultanée de plusieurs agences gouvernementales à travers le monde.
Les enquêteurs ont découvert que les opérateurs d’Elysium utilisaient des techniques de chiffrement avancées pour protéger leurs communications et cachaient l’emplacement réel de leurs serveurs de commande et de contrôle derrière plusieurs couches de proxys et de services d’anonymisation. Cette architecture complexe avait permis au botnet de fonctionner pendant plusieurs années sans être démantelé, générant des revenus substantiels pour ses opérateurs.
Conséquences pour les infrastructures compromises
La déconstruction du botnet Elysium aura des conséquences significatives à long terme pour la sécurité des systèmes informatiques à travers le monde. Une fois les serveurs de commande et de contrôle mis hors service, les appareils infectés ont été isolés de l’infrastructure du botnet, empêchant tout contrôle à distance futur par les attaquants.
Cependant, cette neutralisation ne résout pas complètement le problème pour les appareils infectés. Les systèmes compromises continuent d’exister et pourraient être réutilisés par d’autres acteurs malveillants si des mesures correctives ne sont pas prises. Selon les recommandations d’Europol, les propriétaires d’appareils infectés devraient :
- Installer immédiatement les dernières mises à jour de sécurité disponibles pour leurs systèmes d’exploitation et logiciels
- Exécuter des analyses complètes avec des solutions antivirus réputées
- Changer tous les mots de passe sensibles en utilisant des mots de passe uniques et complexes
- Surveiller l’activité suspecte sur leurs systèmes pendant les semaines suivant la neutralisation
- Consulter des professionnels de la cybersécurité si des signes d’activité persistante sont détectés
Dans la pratique, la déconstruction d’un botnet comme Elysium soulève des questions importantes concernant la responsabilité de la sécurité des appareils connectés. Alors que les fabricants de dispositifs IoT et d’équipements réseau sont de plus en plus tenus pour responsables des vulnérétés dans leurs produits, la réalité est que de nombreux appareils restent non sécurisés tout au long de leur durée de vie, créant des opportunités constantes pour les attaquants.
Implications pour la sécurité européenne et mondiale
Réponse des agences gouvernementales
L’Opération Endgame représente une étape importante dans l’évolution de la réponse gouvernementale à la cybercriminalité. Agissant comme catalyseur de coopération internationale, cette opération a démontré que les approches bilatérales et multilatérales peuvent être efficaces contre les menaces cybernétiques transfrontalières. Les agences participantes ont mis en place plusieurs mécanismes de coordination durable qui devraient faciliter les futures opérations similaires.
En France, le ministre de l’Intérieur a salué cette action comme un “exemple de réussite de la coopération européenne en matière de cybersécurité”. L’ANSSI, pour sa part, a annoncé le renforcement de son centre de coordination et de réponse aux incidents (CERT-FR) pour mieux intégrer les informations internationales et améliorer la détection précoce des menaces émergentes. Ces mesures s’inscrivent dans une tendance plus large de consolidation des capacités de cybersécurité au niveau national et européen.
Par ailleurs, l’Opération Endgame a conduit plusieurs gouvernements à revoir leurs législations nationales sur la cybersécurité pour accélérer les procédures d’assistance judiciaire internationale et améliorer la protection des infrastructures critiques. Ces réformes répondent à un besoin croissant d’adaptation législative face à l’évolution rapide des menaces et des techniques des cybercriminels.
Leçons apprises et recommandations
Plusieurs leçons importantes peuvent être tirées de l’Opération Endgame, qui devraient guider les stratégies de cybersécurité à venir. Premièrement, l’efficacité des opérations multilatérales démontre que la coopération internationale n’est plus une option mais une nécessité dans la lutte contre la cybercriminalité organisée. Deuxièmement, la complexité croissante des infrastructures malveillantes nécessite des approches d’investigation tout aussi sophistiquées, intégrant des compétences techniques, juridiques et diplomatiques.
Pour les organisations du secteur privé, l’Opération Endgame souligne l’importance cruciale de la préparation aux incidents et de la veille sur les menaces. Les entreprises devraient considérer les recommandations suivantes pour renforcer leur résilience :
- Mettre en place des programmes de formation réguliers pour les employés sur les risques cybernétiques
- Implémenter des contrôles d’accès stricts et des politiques de mots de passe robustes
- Surveiller activement le trafic réseau à la recherche d’anomalies
- Participer aux programmes de partage d’informations sur les menaces
- Planifier et régulièrement tester des scénarios de réponse aux incidents
“La cybersécurité n’est plus seulement un problème technique, mais un enjeu stratégique pour toutes les organisations, a déclaré un expert de l’ANSSI. L’Opération Endgame montre que même les infrastructures les plus sophistiquées peuvent être neutralisées par une coopération internationale appropriée.”
Sur le plan technique, l’opération a également mis en évidence l’importance des mesures de détection et de réponse aux menaces avancées (EDR/XDR), qui sont devenues essentielles pour identifier et contrer les malwares modernes. Ces technologies permettent une surveillance en temps réel des systèmes et une réponse rapide aux anomalies, réduisant ainsi la fenêtre d’exposition aux attaques.
Conclusion : vers une cybersécurité renforcée
L’Opération Endgame marque un tournant important dans la lutte contre la cybercriminalité organisée, démontrant qu’une coopération internationale coordonnée peut neutraliser même les infrastructures malveillantes les plus complexes et les plus étendues. En démantelant Rhadamanthys Stealer, Venom RAT et le botnet Elysium, les agences de neuf pays ont réussi à perturber significativement les activités de ces groupes criminels, en arrêtant leurs principaux opérateurs et en libérant des centaines de milliers d’appareils du contrôle des cybercriminels.
Cette opération souligne cependant que la cybersécurité nécessite des efforts continus et coordonnés à tous les niveaux - des gouvernements aux entreprises, en passant par les individus. Alors que les menaces évoluent et se complexifient, les approches de défense doivent s’adapter en permanence pour rester efficaces. La prévention, la détection précoce et la réponse rapide constituent les trois piliers d’une stratégie de cybersécurité résiliente dans le paysage numérique contemporain.
Pour les organisations françaises, l’Opération Endgame doit servir de rappel de l’importance de se conformer aux recommandations de l’ANSSI et d’investir dans des solutions de cybersécurité adaptées aux menaces actuelles. Dans un contexte où les attaques deviennent de plus en plus sophistiquées et coordonnées, la vigilance et la préparation ne sont plus des options mais des impératifs stratégiques.
Enfin, l’Opération Endgame illustre le rôle croissant des agences gouvernementales dans la protection des citoyens et des entreprises contre les menaces cybernétiques. Alors que les frontières numériques continuent de s’estomper, la coopération internationale et le partage d’informations deviennent les outils les plus puissants pour défendre nos sociétés contre les cybercriminels. Cette opération n’est que le début d’une nouvelle ère de lutte coordonnée contre la cybercriminalité, où la solidarité et l’action collective seront déterminantes pour la sécurité numérique de tous.